mardi 6 décembre 2011

Vital Sizaire reçoit la médaille de bronze du hannetonnage (1875)

Discours de Vital Sizaire, instituteur à Maing, à l’occasion de la remise de la médaille de bronze qu’il reçoit du comice de Valenciennes en 1875 (Concours agricole).

“Monsieur l’inspecteur, Messieurs du Comice,

C’est avec une grande fierté que je reçois aujourd'hui cette médaille de bronze de la Société d’Agriculture de Valenciennes qui récompense avec celle-ci les efforts de tous les enfants de notre école primaire de Maing.

Je voudrais avant tout remercier le Comice de Denain pour l’organisation du concours agricole qui récompense aujourd’hui nos élèves et son honorable Président, M. Crépin-Deslinsel, vaillant lauréat du concours régional de 1870, Monsieur le Sous Préfet qui a tenu à donner une preuve de l’intérêt qu’il prend à nos travaux.

Comme tous les ans à l’époque du hannetonnage, notre école primaire avec les autres écoles des communes de l’arrondissement de Valenciennes, a participé à la collecte des animaux nuisibles.

Le plus grand stimulant est le bien qu’on fera aux récoltes, l’espoir des récompenses n’est que secondaire.

L’intérêt qui s’attache à tout ce qui a rapport à la destruction des animaux nuisibles à l’agriculture, comme à la conservation de ceux qui lui sont utiles, n’a pas besoin de démonstration. Il en est de même de la participation à ces oeuvres des enfants des campagnes et de l’impulsion que donnent à cet égard les instituteurs primaires à leurs élèves et Monsieur l’inspecteur.

Depuis huit ans avec M. Hien, nous poursuivons très activement et très sérieusement chaque année la destruction des hannetons, des vers blancs et des anneaux de chenilles.

Chaque écolier apporte le matin sa récolte de hannetons dont l’importance est appréciée au poids ou à la mesure et qui sont salés dans de grands tonneaux.

Leur décomposition amène un engrais riche d’azote et de produits salins dont on tire le meilleur parti.

Les premiers succès de M. Hien avaient été accueillis par les agriculteurs avec hilarité. Les uns prétendaient que le hanneton n’est nullement nuisible, que le vers blanc n’a aucun rapport avec le hanneton; d’autres, que chercher à détruire les hannetons, c’était prétendre épuiser l’eau de la mer, que chaque chose en ce bas monde a son rôle tracé par le Créateur, son contingent de bien à produire et que le hanneton même devait être respecté.

La chasse a été vigoureusement poursuivie pendant ces huit années, elle a produit annuellement la destruction de 40 à 60 mille hannetons. Je crois pouvoir dire qu’après toutes ces années les plus observateurs ont été convaincus.

Tous peuvent maintenant reconnaître que la quantité de vers blancs diminue d’année en année. M. Cochin, homme très sérieux et observateur, me dit à l’instant qu’il y a douze ans il a compté et ramassé avec ses ouvriers 25 000 vers blancs sur une surface de 48 ares. On n’en a pas trouvé cette année 100 sur le même champ.

La quantité de hannetons détruits a été pendant six ans, de 40 à 60 mille suivant les circonstances plus ou moins favorables à leur reproduction. Cette année, quoique que la chasse ait eu pour stimulant extraordinaire la promesse et l’espoir de concourir pour les prix donnés par l’administration, nous n’avons pu qu’à grand peine en recueillir une douzaine de mille pendant que tous les territoires circonvoisins en sont plus désolés que les années ordinaires.

C’est donc avec une véritable satisfaction que je viens vous faire connaître un aussi frappant résultat.

L’année dernière 11 communes avaient fait faire la chasse aux hannetons par leurs élèves. Cette année 21 s’en sont occupé. Ce ne sont pas moins d’un million deux cent quatre vingt six mille insectes nuisibles qui ont été détruits dans notre arrondissement et près de trois mille huit cent vers blancs.

Je tiens citer aujourd’hui le nom des élèves les plus méritants de notre commune qui, par leurs efforts assidus, ont contribué grandement à la préservation des récoltes : C. Dupont, A Maréchal, F. Tison, A. Lebrun et A. Menveux.

Je tiens aussi à remercier Monsieur Grar pour avoir obtenu du Comice d’ajouter aux médailles décernées aux professeurs, une somme de cent francs offerte par MM Boduin et Wallon, membres de l’assemblée nationale, à distribuer en primes pour les élèves les plus méritants.

Ces primes, qui sont de 1 fr chacune, seront réparties par les soins de M. l’Inspecteur, entre les 21 écoles qui ont participé au concours, et dans chaque école par l’instituteur.

Je propose que les primes soient versées à la caisse d’épargne pour ceux des élèves qui y ont des livrets, et servirait à prendre des livrets pour ceux qui n’en ont pas encore.

La possession d’un livret et la nécessité de résister à toute folle dépense, accoutume de bonne heure l’enfant à la prévoyance et le fortifie contre les entraînements irréfléchis du moment. Alors que l’enfant qui aura dépensé follement son argent, ou qui l’a perdu au jeu, désire naturellement rentrer dans ses fonds. S’il est très jeune, et incapable de juger sainement de ses actes; s’il est influencé par des camarades ou des personnes peu délicates qui tirent profit de ses prodigalités, il aura recours aux larcins domestiques pour rétablir l’équilibre entre son avoir et sa dépense; et quand, plus tard, la raison et la conscience feront entendre leur voix, le mauvais pli sera pris, l’habitude sera contractée, et il lui faudra bien des efforts et des luttes pour y remédier.

Quoi qu’il en soit, on peut regarder comme indubitable que, parmi les petits déposants d’aujourd’hui, un bon nombre conservera l’habitude de la petite économie, en augmenteront graduellement l’importance, la feront entrer parmi les devoirs de la vie, et plus tard, lui devront l’aisance et le bonheur domestique.

Par toutes ces considérations, il y a lieu de se féliciter des résultats obtenus, de les récompenser d’une manière générale, et d’accorder quelques récompenses spéciales”.

Maximilien Nicolas Vital Sizaire, instituteur à Maing (59) en 1875.

Quelques considérations sur ce discours par Patrick Sizaire.

Bien que les personnages aient vraiment existé, le discours que vous venez de lire n’a jamais été prononcé par Vital Sizaire. Il s’agit d’une fiction. J'ai rédigé ce discours fictif en m’inspirant de la revue agricole, industrielle et littéraire du Nord 1874 à 1876 et j’ai voulu rendre l’atmosphère de l’époque et les valeurs qui avaient cours à ce moment là de l’histoire. Bien que fictif, ce discours aurait cependant trouvé sa place en 1875 et Vital aurait tout aussi bien pu en être l'auteur.

Maximilien Nicolas Vital Sizaire, prénommé plus simplement Vital, originaire de Fourmies, a 35 ans lorsqu’il rejoint en 1875 son poste d’instituteur public à Maing après avoir enseigné à Beuvrages où il a déjà participé aux campagnes de hannetonnage. En 1875, il se voit décerner la médaille de bronze à l’occasion du concours agricole de Valenciennes pour la participation de sa classe à la campagne de hannetonnage.

Marié depuis bientôt 9 ans avec Laetitia Sophie Marlier qu’il épousa à Malincourt (59), il est à la tête d’une famille de 3 jeunes enfants: Emile Vital Pascal, 6 ans; Angèle, 4 ans et la toute jeune Jeanne Marie Mathilde, de santé fragile, qui décédera 2 ans plus tard. Vital est inscrit dans son temps et véhicule les valeurs de son époque d’autant qu’en qualité d’instituteur public, il représente le savoir et l’autorité.

Nous ne pouvons qu’être surpris en découvrant qu’à cette époque marquée par les grandes découvertes, l’accroissement de l’industrie, le début de la mécanisation, on avait assez peu d’idées du rapport entre les choses du vivant. Ainsi, les agriculteurs n’avaient pas fait le lien entre le ver blanc qui est la forme larvaire du hanneton et le hanneton lui-même.

“C’est au printemps que les hannetons adultes migrent en grand nombre pour s’installer dans les arbres (charmes) et dévorer les feuilles. Mais, comme souvent chez les insectes, c'est le stade larvaire qui provoque le plus de dégâts sur les cultures. Les larves, ou vers blancs, vivent dans le sol et mettent à leur menu toutes les racines qui passent à leur portée. Résultats : des taches jaunes dans les pelouses quand ils s'en prennent aux racines de graminées, des massifs de fleurs ravagés, des légumes-racines ou des tubercules creusés de galeries (pommes de terre, betteraves, navets...). Amputées d'une partie de leurs organes nourriciers, les plantes flétrissent et les cavités creusées dans les légumes augmentent les risques de pourriture. Les jeunes arbres fruitiers peuvent également en pâtir.

Ces invasions périodiques de hannetons – généralement tous les trois ans – étaient autrefois considérées comme un véritable fléau. Les enfants des écoles étaient mobilisés pour le « hanneton­nage » : battage des arbres au-dessus d'une toile pour ramasser des milliers d'adultes dans les vergers. Aujourd'hui, les effectifs de ces insectes et leurs dégâts ont considérablement décru, et on ne les retrouve que dans quelques régions herbagères voisines de forêts de feuillus. Plus que l'utilisation d'insecticides du sol, c'est sans doute la mécanisation et l'intensification du travail du sol à partir des années soixante qui explique cette régression, les vers blancs étant très fragiles.” (Extrait de www.terrevivante.org/517-le-hanneton.htm)

De la même manière, nous avons vu dans ce discours fictif que la morale et l’éducation des jeunes sont très différentes de celles d’aujourd’hui. La morale est, en 1875, assez consensuelle. Reconnue par tous, elle est transmise tant par les parents, le système scolaire que par les acteurs économiques (ex les sociétés agricoles).

La France de l’époque est essentiellement agricole. La nourriture n’est pas encore aussi abondante que de nos jours, les récoltes soumises aux aléas de la nature. C’est en impliquant les enfants dès leur plus jeune âge dans le processus de production agricole que la société construit son avenir et préserve son présent. Ainsi, face à la destruction des insectes considérés comme nuisibles, se met aussi en place la préservation des espèces considérées comme utiles (les oiseaux) et on incite les enfants des écoles à préserver les nids, à dénoncer les destructeurs de ces nids. La société protectrice des animaux récompensera aussi les élèves pour ces actions par une prime.

Les plus anciens d’entre vous se souviennent que les instituteurs faisait faire aux élèves du jardinage dans leur potager. Impensable aujourd’hui, voici ce qu’on en disait à l’époque:

“ Le travail manuel fait par les élèves n’est pas une corvée. Cependant tel n’est point toujours l’idée de bien nombre de parents; et certes, toute la bonne volonté des maîtres se trouve parfois impuissante devant cet obstacle. Mainte fois ils nous ont exprimé leurs peines à cet égard. Le moyen de remédier à cet état de choses, serait de faire connaître par une publication spéciale que l’enseignement pratique de l’agriculture et du jardinage ne constitue pas une corvée imposée par le maître et à son profit; on démontrerait, qu’au contraire, ces travaux, faits dans les limites de la circulaire préfectorale, sont aujourd’hui indispensables à toute éducation primaire bien entendue.”

Vous aurez noté aussi que l’instituteur intervient aussi dans l’économie familiale en incitant les enfants à épargner leurs maigres économies en les plaçant sur un livret de caisse d’épargne. A cette époque le système bancaire intervient dans l’économie réelle. Placer son argent à la banque c’est assurer le développement économique du pays. On est bien loin des pratiques actuelles de notre système bancaire.

Enfin ce discours nous interroge sur notre système de valeurs actuel. Bien que se déroulant en 1875, je pense qu’il n’a jamais été autant d’actualité.

Nous avons vécu des années difficiles avec des guerres tout comme ces gens qui sortaient du conflit de 1870 mais aussi des années glorieuses de dynamisme économique tout comme ils voyaient leur vie s’améliorer d’année en année par une meilleure connaissance de leur environnement.

Nous vivons de nouveau une période où nos ressources iront en s'amenuisant par le simple fait du réchauffement climatique, la diminution des surfaces cultivables et l’augmentation de la population.

Notre système de valeurs devra nécessairement s’adapter à notre futur environnement écologique et politique. Verrons-nous de nouveau réemerger des valeurs de solidarité, un système bancaire plus en connexion avec le monde réel, une implication de tous dans les choses de la nature pour préserver au mieux notre environnement et, enfin, un système moral plus consensuel ? Ou bien notre société sera-t-elle encore plus individualiste que celle que nous connaissons actuellement? L’avenir nous le dira!

Patrick

Références

- Revue agricole, industrielle et littéraire du Nord / publ. sous le patronage de la Société d'agriculture, sciences et arts de l'arrondissement de Valenciennes. 1875 (T28, A27) Auteur : Société d'agriculture, des sciences et des arts de Valenciennes.
Identifiant: ark:/12148/cb328562707/date ISSN 20176538

- Revue agricole, industrielle et littéraire du Nord / publ. sous le patronage de la Société d'agriculture, sciences et arts de l'arrondissement de Valenciennes. 1876 (T29, A28) Auteur : Société d'agriculture, des sciences et des arts de Valenciennes.
Identifiant: ark:/12148/cb328562707/date ISSN 20176538

- Terre vivante, l'écologie pratique : http://www.terrevivante.org/517-le-hanneton.htm

- Comice : Un comice agricole (ou de préférence au pluriel comices agricoles) est une assemblée formée par les propriétaires et les fermiers d'une région pour échanger les expériences de chacun afin d'améliorer les procédés agricoles (Wikipedia).

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