lundi 8 octobre 2012

Léon Sizaire se rebelle contre les Allemands

Pour que la mémoire ne se perde pas, il est utile de retranscrire les événements heureux ou malheureux qui jalonnent la vie des familles. Bernadette nous envoie une de ces jolies histoires de famille qui constituent notre patrimoine commun.

"Parfois, au coin du feu, je me souviens de ma vie passée et de mes jeunes années. Ces souvenirs me tiennent chaud l'hiver et me réconfortent lorsque les jours sont difficiles.Les années s'écoulent comme un fleuve que rien ne peut arrêter. Mais les souvenirs, comme des écueils jalonnent le courant. Et parfois, ceux-ci forment un passage, un gué, permettant de passer d'une rive à l'autre...

Je me souviens avec tendresse de mon grand-père Léon qui cultivait la chicorée dans la ferme familiale(1). Je me souviens de ma grand-mère, cette brave femme qui m'apportait des gaufres ou des tartines à la confiture pour mon goûter.
Je me souviens de la ferme familiale acquise par mon arrière-grand-père Zacharie qui s'était installé cultivateur après avoir trimé comme verrier.
Je me souviens de sa ferme, située dans une impasse composée de plusieurs bâtiments.
Je revois ces bâtiments de briques rouges, des toits d'ardoises et de tuiles. J'entends encore les poules caqueter et les chiens aboyer. Je me souviens de l'odeur puissante des chevaux: de magnifiques boulonnais, costauds, piaffants de plaisir à l'idée de tirer la charrue !
Je me souviens surtout de la chaleur humaine que cette ferme dégageait. A l'époque, ce n'était pas comme maintenant où tous les membres d'une même famille vivent aux quatre coins de France. Où l'on ne se rencontre plus qu'à l'occasion. Non, en ce temps là, les familles étaient unies. Elles vivaient les unes avec les autres.
On s'entraidait pour les foins, pour cultiver la terre, pour la vie de tous les jours. On partageait le peu qu'on avait. Oui, on vivait bien au "Partio".
Je me souviens aussi des histoires que me racontait mon grand-père. Ces histoires petites ou grandes mais toujours émouvantes. Ces histoires qui sont l'histoire de notre famille.
Je ne résiste pas  au plaisir de vous en raconter une qui m'avait particulièrement marquée lorsque j'étais petite.

La première guerre mondiale, la grande guerre, a été une époque terrible pour tous. Une époque troublée. Une époque de malheur pour beaucoup.
Notre famille avait déjà été éprouvée par la mort en 14 de Germain à la Thibaudine(2), le frère de mon grand-père et parrain de mon père Léon. Germain avait une grande importance pour mon père et avait marqué par sa gentillesse ses premières années. Sa brusque disparition fût un traumatisme pour notre famille.

En 1916, le Nord était occupé par les Allemands. Vicq n'échappait pas à la règle. A cette époque, mon père n'avait que 8 ans. Comme tous les gosses du village, il ne pensait qu'à s'amuser. Comme le font tous les enfants.  A 8 ans un enfant n'a pas encore d'esprit critique. Il ne sait pas ce qui est bien ou mal. Il ne sait pas évaluer le danger.

Notre ferme avait été réquisitionnée par un envahisseur qui prenait ses aides dans nos logis et qui avait fait main basse sur les chevaux de mon grand-père. A son grand désarroi!
Partout, de tout temps, il existe des esprits mal intentionnés ou qui ne mesurent pas les conséquences de leurs actes. Ces bonnes âmes, dans un esprit de résistance à l'ennemi avaient concocté le plan de faire fuir les chevaux réquisitionnés par les Allemands. Leur arme : mon père, ce gamin de 8 ans !
Malheureusement, l'occupant a surpris mon père dans sa tentative de sabotage. Il fallait s'y attendre!  Toute la famille tremblait de peur devant les conséquences d'un tel acte. D'autant que circulait déjà des histoires horribles de représailles, de destructions ou d'exécutions sommaires. Tout le monde connaissait l'histoire rapportée par notre cousine belge du commissaire de police Longueville(3) froidement exécuté par les Allemands sous les yeux pour ainsi dire de sa femme et de ses enfants.  Cela faisait froid dans le dos!
Les Allemands ont bien puni mon père pour ce qu'il avait fait et ont épargné la famille. Sans doute son jeune âge l'a-t-il sauvé? Au grand soulagement de tous, sa punition, quoique désagréable et humiliante, n'a pas porté à conséquence: ils se sont contentés de lui tondre les cheveux!
C'était la première fois que mon père était ainsi tondu comme un monton. Ce ne serait pas la dernière mais ceci est une autre histoire!

Je pensais, dans ma tête de petite fille qui écoutait alors ces histoires de famille qu'on n'a pas le droit, pour quelque motif que ce soit, de jouer avec la vie d'un enfant. Et vous savez quoi? Après toutes ces années, je pense toujours la même chose."

Texte de Patrick d'après une anecdote familiale rapportée par Bernadette, fille de Léon

Sources:
(1) Voir article : Restez en forme avec la chicorée Léon Sizaire
(2) Voir article : Dernières nouvelles de Sizaire Germain Louis
(3) Documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande dans les provinces de Namur et de Luxembourg (Volume 4 pt. 2); Norbert Nieuwland.
Photo: Léon Sizaire vers l'âge de 8 ans.

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